1- Marcelle, Cordes-sur-Ciel's grocer, France , July 1976 / 2- Fao Wardson and his dog Jersey in the Niépce Gallery, 1975 / 3- Facade of Maison Ladevèze on the Grand Rue, 1976 / 4- Porte des Ormeaux, Cordes-sur-Ciel, May 1975.
Tears of light - Cordes-sur-Ciel, France - Monday, August 25, 1975
Tears of light
Après des études de photographie, je n’eus guère le loisir d’explorer librement ce que je venais d’apprendre. Il y eut d’abord les « obligations militaires » qui préemptèrent une première année, puis quelques expériences professionnelles autant indispensables qu’affligeantes.
C’est au printemps 1975 que j’ai découvert le village de Cordes-sur-Ciel. Par l’entremise d’un mécène, j’ai pu m’installer dans la maison Ladevèze, une vaste demeure moyenâgeuse pas encore restaurée, avec en façade une galerie ouverte sur la Grand Rue. Je procédais le matin à l’accrochage de tirages punaisés sur de vieilles lames de bois, puis le soir je décrochais. Les visiteurs faisaient un bref détour par cette exposition singulière. Quand la recette du jour était insuffisante, Marcelle, l’épicière dont j’avais tiré le portrait, offrait le beurre ou ce qui pouvait manquer. L’insouciance de ces années imprégnait la cité médiévale toute entière. Les amitiés se nouaient sans façon, les amours se dénouaient sans égard; seul, le passé forgeait insidieusement sa nostalgie.
Il pleuvait donc sur Cordes ce lundi 25 août. À la faveur d’une embellie, un couple d’inconnus, escorté par mon chien, descendait vers la Porte des Ormeaux sous un soleil dissipateur. Nous étions séparés par un rideau ténu de pluie, comme par des larmes de lumière. Je pensais à mes parents que j’avais laissés en Bretagne.
FW
La belle journée - Cordes-sur-Ciel, France - August, 1975
Catalogue raisonnable
Un catalogue raisonné répond au besoin de retracer le parcours d’une œuvre. Assez tôt j’ai établi une liste exhaustive des tirages réalisés. Avec ce mélange d’enthousiasme et de doute qui m’accompagne depuis le début de mon ouvrage, j’ai collecté ce qui me semblait devoir être retenu pour je ne sais quelle postérité. Et puis le doute, fidèle et salutaire compagnon de ma route, vient saper l’enthousiasme avant que celui-ci ne devienne un peu hâtivement une certitude. Alors, il faut remettre l’ouvrage sur le métier : cribler la matière pour n’en retenir que l’actuelle certitude, celle tournée vers une œuvre en devenir. Jusqu’à l’inachevé.
Voici le début d’une sorte de catalogue raisonné revisité - un catalogue raisonnable - une infraction au code de la bienséance artistique.
Pour commencer, ce tirage d’août 1975, intitulé La belle journée, échappe à la coupe claire. La lumière embrumée inonde un matin de mes 22 ans. Un trait luisant sur la route paraît accompagner mon chien. Aujourd’hui, je sais la vaste insouciance de ces temps-là et la dimension nostalgique qui désormais l’encombre. Pourtant, presque au centre du tirage, il y a un petit carré de lumière grise, encore assoupie, insondable, ouvert sur l’inconnu et dont je ne me lasse pas, parce que l’inconnu me met en mouvement.
FW
La faille - Quiberon, France - November, 1978
almost nothing / presque rien
"... je cherchais un territoire propre que j’étais bien incapable de définir. J’étais pourtant persuadé qu'en présence de cet espace inconnu, je saurais. En attendant, j’apprenais à collecter parcimonieusement quelques flatteries venues du ciel mais encombré du sentiment d’être l’écho d’un langage inculqué. Je me contentai de cerner mon espace : le carré.
Ce matin d'automne une lumière émergeant de sa torpeur embrumée m’avait poussé vers les rochers. Les plis spectaculaires du schiste attirent inévitablement l’attention. Je longeais la falaise, au hasard. Et puis là, face à moi une verticalité soudaine barrait un intense flux horizontal.
C’était comme avoir parcouru longtemps un corridor ombreux avant d’apercevoir une porte entrebâillée ouverte sur des signes inconnus mais familiers.
Une matière rugueuse retenant dans ses rides une clarté fuyante, à l’image du monde exposant sa matière à l’évanescence des lumières. Un dépouillement pour atteindre une évidence rythmique, sinon contaminée, car la photographie est toujours déjà encombrée du réel. En somme, révélé par un éclairage presque anodin, un presque rien. Mais un presque rien empli de monde.
Depuis la porte entrebâillée, je continue à déambuler en territoire propre, sans certitude, à la merci des failles qui déchirent de temps en temps le rideau fade que l’habitude pose sur le monde."
F.W. à André Sauge, 21 juin 2017